Cartolina video
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J’ai participé au projet projet MigrArti «Navigare i Confini. Tra Asia e Africa in un isola che c’è!» à double titre, en tant que directeur artistique du festival Les Instants Vidéo basé à Marseille, et en tant qu’artiste vidéo.

En tant que responsable des Instants Vidéo, il s’agissait de choisir des œuvres d’artistes internationaux traduisant poétiquement des problématiques liées à l’immigration, aux rencontres joyeuses ou tragiques de cultures différentes… Mais pas seulement. Pas seulement, une accumulation de films. Penser la succession des films comme les escales d’un voyage auquel seront conviés les spectateurs. Un voyage qui, je l’espère à chaque fois, sera vécu comme une expérience, une épreuve qui engage le corps et la pensée, la raison et les sens. Si tel est le cas, les voyageurs ne seront plus tout à fait les mêmes quand ils sortiront de la salle de projections. La réalité, c’est que ce ne sont pas seulement les humains qui voyagent ou qui migrent, les images aussi. Tout l’histoire de l’art en témoigne. Il n’y a pas d’images (des peintures, des photos ou des films) produites dans telle partie du monde qui ne soient pas d’une manière ou d’une autre influencées (consciemment ou pas) par des images, des formes, des mouvements créés dans une autre région du monde. Regarder une image, c’est toujours regarder en même temps une autre image. Les images migrent. C’est pour cela qu’une première programmation s’est intitulée «Migrations des corps et des images», avec des vidéo de Clémence b.t.d. Barret (France / Thaïlande) ; Cheryl Pagurek (Canada) ; Beate Hecher & Markus Keim (Autriche) ; Gouri Mounir (Algérie) ; Nsana Banimba Jussie (Congo) ; Abdoul-Ganiou Dermani (Togo/Allemagne) ; Pablo Caviedes (Equateur/USA) ; Silvia De Gennaro (Italie) ; Arzu Yayıntaş (Turquie) ; Mariangela Ciccarello & Philip Cartelli (Italie/USA).

Une second choix s’est concentré sur des œuvres liées à la Palestine où vit un peuple qui, même chez lui est en exil: “Résistances artistiques en Palestine” avec des vidéo de Hasan Tanji (Palestine) ; Taysir Batniji (Palestine) ; Sharif Waked (Palestine); Rania Stephan (Liban); Lucia Ahmad (Palestine); Rawan Obaid (Palestine/UAE) ; Marc Mercier (France) et Kefah Fanni (Palestine).
Il était particulièrement intéressant pour moi de confronter ces œuvres “migrantes” à un public en parti composé de femmes et d’hommes qui vivent dans leur chair la migration ou l’exil.

L’autre versant de ma participation au projet “Navigare i Confini”, fut celui de la création partagée (avec des femmes et des hommes d’origines diverses et venus en Sardaigne pour des raisons différentes, parfois volontaires, parfois tragiques) de cartes postales vidéo, avec la complicité technique, amicale, poétique de Matteo Fadda, Alessandro Melis et Ornella d’Agostino.
Je me suis d’abord demander ce que signifie “migrer”.
Migrer: traverser une frontière, une montagne, la mer… Pas seulement, c’est aussi passer d’un langage à un autre, d’une culture à une autre. Entre l’espace que l’on quitte et celui que l’on trouve, il y a un temps d’adaptation. Un temps où la culture d’origine est déjà du passé, où la culture d’accueil est encore un futur, où le présent laisse sans voix : que puis-je dire de ma vie, de mes douleurs, de mes désirs quand je n’ai pas les mots pour me faire comprendre?

Alors l’idée de créer des cartes postales vidéo est venue. La carte postale «papier» est un moyen de communication qui permet de donner de nouvelles de soi à des proches. L’expéditeur choisit une image (qui n’est jamais innocente, elle peut signifier «où je suis», «mon état d’esprit», «une atmosphère»…), écrit quelques courtes phrases et l’adresse du destinataire. Rares sont les cartes postales qui échappent à cette forme. Certains écrivent sur l’image. D’autres font un dessin à la place du texte. Certains se contentent de signer, surtout si la carte est envoyée par un groupe, un couple, une famille.

Pour le projet des cartes postales vidéo, j’ai proposé d’appliquer un protocole assez stricte. Chaque participant (ou groupe) décide d’un message important (triste ou joyeux) à transmettre. Il choisit un destinataire (famille, ami, ou à l’humanité). Il choisit l’image (le paysage) qui sera filmée, dans lequel il fera une action significative. La primauté sera donnée à l’action, ce qui signifie qu’il faut limiter l’usage de la parole (sauf s’il s’agit d’un chant). Etant donné que ce projet s’adresse à des femmes et des hommes originaires de pays différents, se pose inévitablement le problème de la langue. En limitant l’usage de la parole, nous augmentons les chances pour que ces vidéos puissent être comprises par tout le monde.
Enfin, je propose que lors du tournage des images, nous nous limitions à un seul plan, un seul type de mouvement de caméra. Le tout étant discuté, négocié, avec chacune et chacun des participants.
Mon travail, une fois que nous nous sommes mis d’accord sur la forme et le fond, était dans la mesure du possible de proposer de légères modifications pour rendre le projet final plus polysémique, plus ouvert à diverses interprétations, pour ajouter une touche de poésie, de mystère… Cette intervention «poétique» est à la fois destinée aux futurs spectateurs de ces cartes postales vidéo, mais aussi aux participants afin que cette expérience puisse aussi leur permettre d’avoir une réflexion sur les images, sur les relations complexes entre l’image et le son, le geste et la parole…

Nous avons ainsi réussi à réaliser quatorze cartes postales vidéo avec Etienne (Cameroun), Ndiaga (Sénégal), Peter (Nigeria), Halyne (Ukraine), Roric (Costa Rica), Raphael (Grèce), Necati & Muhammed (Turquie), Rendell & Ralph (Philippine), Ousman (Gambie), Yaiu Yaiu (Chine), Reda (Maroc), Modou Lobba (Gambie), Yaya (Sénégal), Sokou (Gambie).
Ces paroles-images d’immigré(e)s sont en quelque sorte un portrait du nouveau monde dans lequel nous sommes, nous les Européens, en train d’entrer. L’Europe de demain sera métissée avec ces couleurs, ces langues, ces chants, ces danses, ces écritures, ces corps, ces savoirs et ces sensibilités d’ailleurs, de beaucoup d’ailleurs.
Je crois que ces cartes postales vidéo, même si certaines s’adressent à des personnes précises, au bout du compte, c’est à nous qu’elles parlent, c’est à nous qu’elles adressent un cri ou un sourire. Cela m’a paru évident quand j’ai pu découvrir en juillet le rendu final de l’ensemble du projet “ Navigare i Confini”, les performances, chants, danses, lectures, témoignages… C’est comme si, pendant une semaine, Cagliari était l’épicentre d’un profond changement de mentalité qui ne manquera pas de se répandre (telle une onde sismique) sur l’ensemble du territoire européen.
C’est pourquoi, j’ai décidé, avec mes collègues, d’inscrire ces Cartes Postales Vidéo au programme de la 29e édition du festival Les Instants Vidéo (novembre 2016, Marseille).

Et la création artistique? Si elle tient sa promesse de participer à la création d’un monde plus juste, plus ouvert, elle ne pourra qu’en tirer les conséquences et donc d’inventer de nouveaux langages pour dire et montrer ce monde mutant.
J’aimerais beaucoup poursuivre ce projet de Cartes Postales Vidéo avec des migrants. Je me suis depuis lors intéressé à l’histoire de la carte postale. Je me suis aperçu que la carte postale n’a pas toujours été cet objet stéréotypé essentiellement utilisé aujourd’hui dans le cadre de l’industrie touristique. Elle fut en France par exemple, au début du 20e siècle, un outil d’information, d’illustration, de popularisation de luttes sociales. La carte postale, outil d’émancipation?

Marc Mercier

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